Mathieu Crotti, psychothérapeute à Aix-en-Provence vous explique Qu'est-ce que la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience ?
La thérapie cognitive basée sur la pleine conscience ou Mindfulness Based Cognitive Therapy (MBCT) est un programme protocolisé et standardisé qui comporte des exercices de méditation de pleine conscience, des exercices de thérapie cognitivo-comportementale et des exercices de la psychologie expérimentale des émotions.
Il a été développé par Segal, Teasdale et Williams au début des années 2000 et il est fortement inspiré du programme de réduction du stress basée sur la pleine conscience (MBSR) de Jon Kabat-Zinn.
Il a été conçu pour prévenir la rechute dépressive, s’adressant donc à ses débuts aux personnes souffrant de dépression répétée. Il est très efficace dans ce cadre puisqu’il a été observé une diminution du taux de rechute de 50% pour les personnes ayant connu au moins trois épisodes dépressifs.
Son utilisation s’est élargi, et il est désormais démontré par la littérature scientifique que le programme MBCT est efficient pour de nombreuses problématiques et pathologies :
- amélioration des troubles anxieux (anxiété sociale, trouble anxieux généralisé),
- amélioration des troubles du comportement alimentaire,
- effets bénéfiques dans le trouble de déficit de l’attention et d’hyperactivité,
- sur les problématiques d’impulsivité,
- effets positifs sur les addictions (diminution de l’abus de substance : alcool, tabac, cannabis),
- effets bénéfiques sur les symptômes de la schizophrénie,
- sur les troubles du sommeil, sur le burn-out,
- sur les ruminations mentales,
- sur les troubles bipolaires,
- sur les personnalités borderline,
- sur les états de stress post-traumatique,
- sur les troubles obsessionnels compulsifs,
- meilleure gestion émotionnelle des maladies chroniques,
- stimulation du système immunitaire,
- effets positifs sur les douleurs chroniques,
- sur les troubles de la sexualité.
Le programme MBCT est constitué de 8 séances de 2 heures, il dure deux mois à raison d’une séance par semaine. Il permet aux participants d’apprendre des stratégies pour sortir du « pilotage automatique » et pour faire face aux situations difficiles notamment au niveau émotionnel. L’instructeur MBCT apprendra notamment aux participants des pratiques méditatives comme le body scan ou scan corporel, la méditation assise, les espaces de respiration, la méditation marchée et les étirements en pleine conscience. Ces pratiques ont pour but de diminuer la réactivité émotionnelle et cognitive des participants. L’idée est de passer du « mode faire » au « mode être », de la résolution de problème à la présence à soi.
Voici le titre des huit semaines du programme, il donne une idée du contenu et de la direction donnée.
Semaine 1 : La conscience et le pilotage automatique
En mode pilotage automatique, on a souvent tendance à faire des choses sans même s’en rendre vraiment compte. Il peut nous arriver d’être arrivé à l’endroit désiré sans avoir pris un instant pour prendre conscience de notre marche ou de notre trajet en voiture par exemple. C’est plus ennuyeux lorsqu’il s’agit des pensées, on peut suivre tout une chaine de pensées négatives qui nous amène à une détérioration de l’humeur sans faire attention. L’idée d’être attentif est ici primordial, que se passe-t-il dans mon expérience présente ? Quelles pensées, quelles émotions, quelles sensations physiques me traversent ?
Semaine 2 : Vivre dans sa tête.
En mode faire, l’expérience est appréhendée uniquement au travers de la pensée, c’est-à-dire indirectement et conceptuellement. On s’égare alors souvent dans nos ruminations mentales, l’esprit s’échappe, vagabonde et nous ne sommes plus ici et maintenant. Revenir au corps est alors primordial, cela donne un nouveau type de connaissance : une connaissance directe, intuitive et expérientielle. Ainsi, l’exercice du scan corporel est tout à fait adapté pour nous ramener pleinement et entièrement au corps, que certains ont malheureusement oublié depuis de longues périodes.
Semaine 3 : Rassembler l’esprit dispersé
Le mental est souvent comparé à un cheval sauvage ou à un petit singe excité qui sauterait de branches en branches, dans notre cas de pensées en pensées. Ainsi, le mental se disperse souvent. Si on observe bien c’est toujours lié à des remords, des regrets du passé ou bien à des craintes du futur. Dans le moment présent, toutes ces souffrances se dissolvent. Cette séance met à l’honneur la concentration sur le souffle et le corps, objets d’attention qui nous sont toujours disponibles. On peut alors retourner à la pleine conscience et rassembler notre mental dispersé. On passe du mode faire au mode être.
Semaine 4 : Reconnaitre l’aversion
L’aversion entraine généralement l’évitement. En effet, qui souhaite éprouver des sensations désagréables, des émotions ou des sensations physiques déplaisantes ? Tout cela nous fait souffrir et nous cherchons de ce fait à le tenir à distance. On se détourne alors de ce que l’on vit à l’instant présent. La pleine conscience offre une manière de rester connecter à notre expérience désagréable, elle aide à voir les choses différemment et à adopter une perspective plus large pour nous relier différemment à la souffrance. L’idée ici n’est pas mortifère, on parle de douleur qu’on ne peut éviter. Si une douleur peut être éviter alors bien entendu, évitons-la. Mais quand une émotion de colère, de peur, de tristesse est présente, ou quand une sensation physique désagréable est là, les accueillir est parfois la meilleure option. Elles peuvent même être de grandes enseignantes. Cela rejoint le thème de la semaine 5.
Semaine 5 : Laisser être et lâcher prise
Laisser être, c’est laisser être ce qui est présent, être présent. Permettre aux choses d’être comme elles le sont déjà. Cela rejoint la notion d’acceptation. L’acceptation n’est pas la résignation. C’est un processus actif où notre attention se pose tranquillement sur l’aversion, l’observe pour ce qu’elle est, des éléments désagréables. Ce qui fait souffrir en réalité n’est pas l’évènement, c’est comment on se relie à lui, comment on lui résiste. Souvent, il est dit que la souffrance = la douleur x la résistance. Cela rejoint également la notion de bienveillance, de compassion : nous faisons du mieux que nous pouvons en tentant d’embrasser le réel.
Semaine 6 : Les pensées ne sont pas des faits
Dans cette séance, l’idée est de percevoir expérientiellement que les pensées ne sont pas des faits. Effectivement, si on fait un pas de côté, si on prend une position « meta », une position emplie de recul, on s’aperçoit vite que des milliers de pensées nous traversent l’esprit chaque jour, qu’elles s’élèvent dans le mental et qu’elles disparaissent. On établit alors une relation différente avec les pensées, nous arrêtons de les « croire ». De plus, elles sont souvent le produit distordu d’humeurs négatives, d’états d’esprit passagers. Qu’en est-il des pensées qui persistent ? En les observant et en les laissant passer, parfois longuement, on s’aperçoit qu’elles ne sont que des constructions mentales et qu’elles peuvent se dissoudre d’elles-mêmes.
Semaine 7 : Comment puis-je au mieux prendre soin de moi ?
Il est très important de remarquer les premiers signes d’une détérioration de l’humeur. Ce ne sont pas encore des symptômes, c’est des petits éléments qui apparaissent quand nous allons moins bien. Les détecter permet d’en prendre la mesure et d’agir concrètement pour se recentrer, regagner en paisibilité, en calme. On peut par exemple prendre un espace de respiration voir faire un body scan ou une méditation assise. Dans tous les cas, nous avons vu ces signes avant-coureurs de nos problématiques et nous pouvons y remédier.
Semaine 8 : Exercer et élargir les compétences nouvellement acquises
Nous arrivons à la fin du programme. Ce n’est en fait qu’un commencement. Le commencement de notre chemin méditatif, d’une nouvelle façon de vivre. Nous avons vu ce qu’était la pleine conscience, cette pratique où l’attention se mêle avec le non-jugement, la bienveillance et la compassion. Comment allons-nous continuer cette pratique ? Quelles sont les exercices que nous allons ancrer dans notre vie quotidienne, qui vont faire partie de notre existence ? Un voyage de mille lieues commence toujours par un pas.
Pour terminer voici un beau poème que l'on retrouve souvent dans les programmes MBSR/MBCT/MBI
« Être humain, c’est être une maison d’hôtes.
Tous les matins arrive un nouvel invité.
Une joie, une dépression, une méchanceté,
Une prise de conscience momentanée vient
Comme un visiteur inattendu.
Accueillez-les tous et prenez-en soin!
Même s’ils sont une foule de chagrins,
Qui balaient violemment votre maison
Et la vident de tous ses meubles,
Traitez chaque invité honorablement.
Peut-être vient-il faire de la place en vous pour de nouveaux délices.
La pensée sombre, la honte, la malice, rencontrez-les à la porte en riant,
Et invitez-les à entrer.
Soyez reconnaissants pour tous ceux qui viennent,
parce que chacun a été envoyé
Comme un guide venu d'ailleurs. »
Rumi, poète soufi du 13ème siècle